La Terre de Davis

Détail d’une carte de Jacques-Nicolas Bellin (1778) montrant les « Terres veues par David en 1686 [sic] ou I. de Davis » juste en dessous du Tropique du Capricorne.

  • Où : dans le Pacifique à l’ouest de l’Amérique du Sud, dans les environs très approximatifs de l’île de Pâques.
  • Quand : aperçue par le pirate Edward Davis en 1687. A commencé à être retirée des cartes dans les années 1770.
  • Ne doit pas être confondue avec : l’île Davis, dans l’océan Arctique, ni les îles Davis, dans l’océan Antarctique.

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Un Voyage nouveau, où l’on trouve la Description de l’Isthme du Continent américain

Une traduction revue & très enjolivée de

A New Voyage and Description of the Iſthmus of America,

récit paru à Londres en 1699

par LIONEL WAFER, du Pays de Galles,

pirate, boucanier & chirurgien à bord du Batchelor’s Delight

dont nous présentons ici

UN EXTRAIT

n’ayant rien à voir avec l’isthme du continent américain, mais plutôt avec la découverte de la Terre dite de Davis, dont il est présumé par M. Wafer s’agir d’un promontoire de la TERRA AUSTRALIS INCOGNITA

M M X I X

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À notre départ des Isles Tortoise ou Galapagos, que je quittai à regret étant donné l’attachement qui s’était formé entre moi & l’une de ces fabuleuses tortues que j’ai décrites, nous nous orientâmes vers le sud, en direction de la Terre de Feu. Chacun parmi l’équipage, ainsi que le capitaine, était désireux de quitter la mer du Sud & de retourner en son pays profiter de sa part du butin. Vers 12 degrés 30 minutes de latitude & à environ 150 lieues de la côte, nous subîmes la secousse d’un séisme. Il fut plus tard établi que cette secousse correspondait à la destruction du port de Callao, un fait qui même aujourd’hui me procure une joie amère telle que peuvent en ressentir ceux qui ont été défaits par les Péruviens lors de certain combat naval, & qui en ont conçu, comme c’est le cas de l’humble auteur de ce modeste récit, une franche hostilité à l’égard de ce pays & de toutes les choses péruviennes, leurs coutumes, leur langue, &c.

Ayant récupéré de notre frayeur, nous restâmes dirigés au sud, plus précisément vers le sud quart sud-est, un demi-rumb à l’est, jusqu’à parvenir à 27 degrés 20 minutes de latitude sud. Environ deux heures avant l’aube, nous tombâmes sur un obstacle dont nous remarquâmes la présence, dans la nuit encore grise, grâce au grand bruit rugissant de la mer battant sur le rivage. Ce vacarme tirait son origine d’un point situé tout juste devant le navire. Sur quoi les marins, craignant l’échouement sur un rivage invisible, demandèrent au capitaine de virer de bord & de se tenir à distance jusqu’à ce que le jour paraisse, ce à quoi le capitaine, ayant pour une fois pris une sage décision, donna son consentement. Ainsi nous naviguâmes plus loin & attendîmes le lever du jour, après quoi nous retournâmes auprès de la terre.

Icelle se révéla être une petite isle de sable, très plate, protégée d’aucune bordure de rochers. Nous nous trouvions à moins d’un quart de mile de son rivage & pouvions la voir clairement, car le matin n’était point troublé. Il commença alors à se former dans mon esprit une hypothèse; car je savais par mes lectures que nombre d’éminents géographes situaient en ces parages la TERRA AUSTRALIS INCOGNITA, dont la nécessité géographique est bien connue, puisque les masses terrestres du nord du globe ne sauraient exister sans un contrepoids équivalent au sud.

Mon hypothèse se changea en certitude lorsque nous aperçûmes, vers l’ouest & à une distance d’environ 12 lieues, une série de hautes terres que nous considérâmes comme des isles, car la perspective faisait apparaître plusieurs séparations entre elles. Ces terres semblaient atteindre 14 ou 16 lieues de longueur & de grandes nuées d’oiseaux y tournoyaient. J’allai trouver le capitaine pour lui annoncer qu’il s’agissait sans l’ombre d’un doute de la TERRA AUSTRALIS INCOGNITA. Nous étions selon toute vraisemblance les premiers à apercevoir le promontoire de ce continent nouveau, ce qui nous vaudrait une gloire sans fin parmi les marins du monde entier & chez les rois de toute l’Europe. Edward Davis, me risquai-je à présumer, serait le nouveau Christophe Colomb. Mieux encore : si, comme le théorisaient certains savants, la TERRA AUSTRALIS INCOGNITA était peuplée de riches Juifs exploitant des contrées fertiles, vivant dans des cités opulentes, &c., nous pourrions ajouter au butin déjà considérable amassé en Nouvelle-Espagne & dans le Pérou des richesses telles qu’elles feraient de chaque membre de l’équipage un prince, en moyens sinon en titres, à notre retour en Angleterre.

À mon grand désarroi, le capitaine ne partagea point mon enthousiasme. Il affirma que l’or & l’argent pris aux Espagnols suffisaient & que nous poursuivrions notre voyage sans détour. Je tentai par tous les moyens de le convaincre, soutenu dans cette entreprise par plusieurs des marins dont la curiosité égalait presque la mienne. Rien n’y fit. Le capitaine, mû par un terrible mélange de sottise, de paresse, d’ignorance, &c., ordonna de diriger le navire vers le sud-est. Ainsi les côtes de la TERRA AUSTRALIS INCOGNITA se perdirent dans les brumes derrière nous.

Mes regrets sont grands de n’avoir point su persuader le capitaine Davis d’aborder la TERRA AUSTRALIS INCOGNITA. Je ne peux que blâmer le capitaine pour sa bêtise & lui souhaiter la déconvenue la plus totale dans le procès pour piraterie qu’ont instruit pour lui les autorités de la Virginie. Sachant que je ne parcourrai jamais plus les distantes mers du globe, je donnerai ici la position de la TERRA AUSTRALIS INCOGNITA. Le promontoire que nous aperçûmes se situe 500 lieues presqu’exactement à l’ouest de Copiapó dans le Chili & sous l’équateur à 600 lieues des Galapagos. Un autre que moi foulera d’abord les terres merveilleuses de ce continent nouveau, mais il est de mon devoir, pour l’avancement de la science & de la compréhension du globe, de le lui permettre. Si je puis formuler un souhait à l’endroit de messieurs les géographes, ce serait de ne point donner à ce continent, lorsqu’il sera connu, le nom du capitaine. Colomb lui-même ne mérita pas cet honneur; Edward Davis n’en est certes pas digne.

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Note historique1J’ai réellement basé ce texte sur un passage de A New Voyage and Description of the Isthmus of America, par Lionel Wafer, compagnon de voyage d’Edward Davis, mais je l’ai considérablement rallongé et y ai ajouté toutes sortes de choses qui ne se trouvent pas dans l’original. Notamment, rien ne permet de croire que Lionel Wafer croyait que les îles qu’il a décrites étaient réellement le continent austral inconnu; cette hypothèse revient plutôt à William Dampier, qui a publié en 1697 le même récit des voyages d’Edward Davis, mais sans l’avoir vécu lui-même.

Voici le texte anglais original de Wafer et une traduction tels qu’ils apparaissent sur Wikipédia :

Bound to the southward, in latitude 12 degrees 30 minutes and about 150 leagues off the coast, experienced a shock of earthquake, that was afterwards found to correspond with the destruction of Callao by earthquake. Having recovered from our fright we kept on to the southward. We steered south-and-by-east-half-easterly, until we came to latitude 27 degrees 20 minutes south, when about two hours before day we fell in with a small, sandy island and heard a great roaring noise, like that of the sea beating upon the shore, right ahead of the ship. Whereupon the sailors, fearing to fall foul upon the shore before day, desired the captain to put the ship about, and to stand off until the day appeared; to which the captain gave his consent. So we plied off till day and then stood in again with the land, which proved to be a small flat island, without any guard of rocks. We stood in within a quarter of a mile of the shore and could see it plainly, for it was a clear morning, not foggy or hazy. To the westward about 12 leagues, by judgement, we saw a range of high land, which we took to be islands, for there were several partitions in the prospect.

This land seemed to reach about 14 or 16 leagues in a range, and there came great flocks of fowls. I and many more of our men would have made this land and have gone ashore on it, but the captain would not permit us. The small island bears from Copiapó almost due east 500 leagues, and from the Galapagos, under the line, 600 leagues.

Traduction :

En route vers le sud, à 12 degrés 30 minutes de latitude et à environ 150 lieues de la côte, avons subi la secousse d’un séisme, dont il fût par la suite établi qu’elle correspondait à la destruction de Callao par séisme. Après avoir récupéré de notre peur, nous restâmes dirigés au sud. Nous nous orientâmes vers le sud quart sud-est, un demi-rumb à l’est, jusqu’à parvenir à 27 degrés 20 minutes de latitude sud, quand, environ deux heures avant le jour, nous arrivâmes auprès d’une petite île de sable et entendîmes un grand bruit rugissant, comme celui de la mer battant sur le rivage, juste devant le navire. Sur quoi les marins, craignant de tomber sur le rivage avant le jour, demandèrent au capitaine de virer de bord et de se tenir à distance jusqu’à ce que le jour paraisse ; ce à quoi le capitaine donna son consentement. Nous naviguâmes au loin jusqu’au jour, puis nous nous dirigeâmes à nouveau vers la terre, qui se révéla être une petite île plate, protégée d’aucune bordure de rochers. Nous nous trouvions à moins d’un quart de mille du rivage et nous pouvions la voir clairement, car le matin était clair, non brumeux, ni troublé. Vers l’ouest, à environ 12 lieues environ, nous vîmes une série de hautes terres, que nous considérâmes comme des îles, car la perspective faisait apparaître plusieurs séparations entre elles.

Cette terre semblait atteindre environ 14 ou 16 lieues de longueur et il s’y rendait de grandes nuées d’oiseaux. De nombreux hommes et moi-même aurions souhaité nous diriger sur cette terre et y débarquer, mais le capitaine ne le permît point. La petite île se trouve à 500 lieues de Copiapó, presqu’exactement à l’Est, et des Galápagos, sous l’équateur, à 600 lieues.

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