L’île de Dougherty

Détail d’une carte de l’Antarctique de Justus Perthes (1906). L’île de Dougherty (ou de Keates) est en bas vers la gauche. 

  • Où : dans l’extrême sud du Pacifique, entre l’Amérique du Sud et la Nouvelle-Zélande.
  • Quand : identifiée en 1841 par le capitaine Dougherty; confirmée en 1860 par le capitaine Keates et en 1886 par le capitaine Stannard. Des expéditions au début du XXe siècle, dont celle du Nimrod, ont ensuite prouvé son inexistence.
  • Aurait été : probablement des icebergs qui, par coïncidence, se sont trouvés au même endroit lors du passage de Dougherty, de Keates et de Stannard.

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NIMROD : CHASSEURS D’ÎLES FANTÔMES

V.F. de Nimrod: Phantom Island Hunters

La nouvelle série fantastique sur l’exploration de l’océan Antarctique dont tout le monde parle!

ÉPISODE 4 : LA FONTE DE L’ÎLE DOUGHERTY

EXT. OCÉAN. JOUR.

On voit le Nimrod, un trois-mâts goélette, quelque part dans l’océan Austral. Il fait clair, la mer et le ciel sont bleus. Au loin, on aperçoit quelques icebergs.

INTERTITRE : Nous sommes en 1909, et les nations du monde s’intéressent à la dernière frontière de la planète : l’Antarctique. 

INTERTITRE : Après s’être lancé à l’assaut du pôle Sud, l’équipage du Nimrod, dirigé par le capitaine John King Davis1à ne pas confondre avec le pirate Edward Davis, met à profit son voyage de retour, entre Sydney et le cap Horn, pour cartographier les îles censées se trouver dans l’océan Austral. 

INTERTITRE : Les îles de la Royal Company, l’île Emerald, les îles Nimrod2Oui, c’est le même nom que le navire. Se référer à l’épisode 3 (pas encore disponible en ligne). : tous ces lieux se sont avérés réels. Mais chaque fois, des prodiges de la nature ont fait douter au capitaine Davis et à ses hommes de leur raison.

INTERTITRE : Qu’en sera-t-il de l’île Dougherty?…

EXT. PONT DU NAVIRE. JOUR.

La proue du Nimrod, côté tribord. Le commandant DAVIS, le second officier WILLIAMS et le professeur de géologie DOUGLAS scrutent l’horizon, équipés respectivement d’une boussole, d’une carte marine et d’une longue-vue. Le professeur Douglas a l’œil vissé sur la longue-vue.

On voit brièvement ce que voit le professeur dans l’objectif : un immense iceberg sur la mer.

Le professeur éloigne la longue-vue de son visage et annonce ce qu’il voit.

DOUGLAS
Un iceberg.
(en mimant futilement la taille de l’iceberg avec ses bras)
Gros. Très gros.

DAVIS
Pourtant, c’est la bonne position?

WILLIAMS
Oui, ce sont précisément les coordonnées rapportées par le capitaine Dougherty.

DAVIS
Eh bien, ma foi, le capitaine Dougherty a peut-être bel et bien pris un iceberg pour une île.

WILLIAMS
Mais, les capitaines Keates et Stannard, eux?

DAVIS
Qui sait? Ils ont peut-être vu des icebergs eux aussi. Quoi qu’il en soit, nous en aurons bientôt le cœur net.

Quelque temps plus tard, le Nimrod est à la distance minimale sécuritaire de l’iceberg. Un véritable mur de glace s’élève au-dessus de la mer, faisant paraître le navire tout petit. Le ciel s’est couvert.

Sur le pont, les trois officiers discutent de leur plan d’action en regardant vers le haut.

DAVIS
Vous aviez raison, professeur. C’est très gros.

DOUGLAS
Je ne prétendrai pas être un spécialiste en glaciologie, mais cela dépasse la taille normale d’un iceberg. À mon humble avis, il faudrait s’assurer qu’il s’agisse véritablement de glace pure. Et s’il s’agissait véritablement d’une île?

DAVIS
Pouvons-nous y grimper?

WILLIAMS
Nous avons l’équipement de l’expédition antarctique.

DAVIS
Un morceau de glace, si gros soit-il, ne saurait être aussi déroutant que les îles que nous avons déjà visitées. Préparez le bateau d’approche et l’équipement d’escalade. Nous allons fouler le pied sur quelque chose de nouveau!

EXT. OCÉAN. JOUR

Un petit bateau quitte le Nimrod et se dirige vers le mur de glace. Les trois officiers et quelques autres marins, dont l’ASSISTANT du professeur, sont à bord.

EXT. MUR DE GLACE. JOUR.

Un membre de l’équipage, armé de pics à glace et de bottes appropriées, atteint le sommet du mur. Il fixe le haut d’une échelle de corde et la fait descendre jusqu’au bateau. Le capitaine fait un geste pour offrir au professeur Douglas de monter le premier.

EXT. PLATEAU DE GLACE. JOUR.

Les trois officiers et leurs hommes contemplent une vaste plaine blanche. Cela s’étend si loin qu’on ne voit pas la fin.

WILLIAMS
Commençons par trouver où ça finit.

Le groupe quitte le bord de l’iceberg et marche assez longtemps. Après quelque temps, le groupe se retrouve au milieu de nulle part. C’est blanc et plat dans toutes les directions. Une neige fine tombe. Le ciel, gris pâle, donne l’impression de se fondre avec l’horizon. Les officiers sont confus : c’est beaucoup trop grand pour être un simple iceberg.

Ils décident de faire une pause. Ils se défont de l’équipement qu’ils transportent et mangent des collations. Le professeur verse du thé d’un thermos dans une petite tasse en porcelaine qui n’a vraiment pas sa place ici.

DAVIS
Serions-nous… Aurions-nous abouti sur un avant-poste du continent antarctique?

WILLIAMS
(catégorique)
Impossible! Nous sommes beaucoup trop au nord.

Le professeur Douglas, accroupi à l’écart avec son assistant, sa tasse de thé posée sur le sol, met des échantillons de glace dans de petits bocaux. Avec un appareil, ils prélèvent une carotte. C’est de la glace jusqu’au bout. Le professeur est perplexe. Il prend une gorgée de thé.

À proximité, le capitaine Davis montre son inquiétude. Après les autres îles, il se méfie.

DAVIS
Nous avons sous-estimé l’étendue de cet iceberg. Retournons au Nimrod et faisons le point.

L’officier Williams part dans une direction, le capitaine dans une autre. Les hommes sont confus.

DAVIS
Officier Williams, où allez-vous?

WILLIAMS
Au navire, capitaine.

DAVIS
Ce n’est pas par là.

WILLIAMS
Je crois bien que oui.
(brandissant la boussole)
Voyez.

Ils se regroupent et consultent la boussole. L’aiguille change constamment de direction.

WILLIAMS
Bordel.

Il fait quelques pas vers le professeur, qui est en train de faire un combat d’épée avec son assistant en utilisant deux carottes de glace.

WILLIAMS
Professeur, vous savez ce qui se passe?

Les carottes se fracassent ensemble et éclatent. Le professeur époussette la glace de son manteau, prend un air plus digne et étudie la boussole quelques instants.

DOUGLAS
(excité)
Cela doit signifier qu’une véritable île se cache sous la glace! Avec un dépôt de fer pour déboussoler la boussole!

WILLIAMS
Oui, c’est très intéressant, mais nous avons besoin de savoir la direction à prendre.
(geste englobant)
Tout est pareil partout. Nos traces de pas ont disparu sous la neige.

DOUGLAS
Je ne sais pas quoi vous dire, monsieur Williams.

ASSISTANT
Professeur!

Williams et le professeur se tournent vers l’assistant. Ce dernier désigne ses pieds. Il est en train de patauger dans une flaque d’eau qui s’est formée là où la carotte a été prélevée.

DOUGLAS
Il fait trop froid pour que cet iceberg fonde. Qu’est-ce que ça signifie?

Les hommes du groupe se rendent compte que la glace sous leurs pieds est en train de se changer en sloche. La transformation est rapide. Il ne neige plus. Le capitaine décide de prendre les choses en main et choisit une direction au hasard.

DAVIS
Je suis 100 %… enfin, 90 %… bon, disons 62 % sûr que le navire est par là. Allons!

Le groupe se met en branle. La progression est pénible : on s’enfonce dans la glace en liquéfaction. Après quelques minutes de marche, il est évident que le groupe n’est allé nulle part.

Vu la futilité de leurs efforts, les hommes abandonnent et se réfugient sur les régions de la plaine qui s’élèvent au-dessus de l’eau. La glace ne fond pas uniformément; des îles se forment, entourées de ruisseaux.

DOUGLAS
On pourrait suivre le cours des ruisseaux.

WILLIAMS
Excellente idée, excepté que les putains de ruisseaux coulent dans toutes les directions.

La fonte s’accélère. Isolés sur une poignée de monticules, les hommes constatent avec étonnement le phénomène. Le professeur ressort son thé. Il a plusieurs tasses en porcelaine et en offre à ses compagnons.

On entend, au loin, un immense grondement.

DOUGLAS
Tiens donc. Je crois que la fonte menace l’intégrité structurelle de l’iceberg.

DAVIS
En d’autres termes, ça va s’effondrer.

WILLIAMS
Putain de bordel de merde.

Une grande fissure se forme, séparant les hommes. L’eau se déverse dedans. L’iceberg, qui fond et s’effondre en même temps, se défait à vue d’œil. C’est la panique. Les hommes crient tandis qu’ils sont violemment projetés dans diverses directions et que la glace, ou ce qu’il en reste, disparaît dans la mer.

EXT. OCÉAN. JOUR.

Il fait maintenant soleil. Le petit bateau récupère les survivants, réfugiés sur de rares morceaux de glace flottante. Cette glace fond d’ailleurs rapidement. Heureusement, il y a peu de morts. Il est clair que l’iceberg a totalement disparu.

INT. CABINE DU NAVIRE. JOUR.

Le capitaine, l’officier et le professeur sont emmitouflés dans des couvertures, dans la confortable cabine du capitaine. Ils grelottent. Pour reprendre des forces, ils mangent des beignes et boivent du thé dans les petites tasses du professeur.

DOUGLAS
On dirait bien qu’il n’y avait pas d’île.

WILLIAMS
Putain d’expédition de merde. Pourquoi on n’est pas allés vérifier la présence d’îles proches de Hawaï ou quelque chose.

DOUGLAS
Qu’est-ce qu’on va écrire dans le journal de bord, capitaine?

DAVIS
On va dire la vérité.
(solennel)
Que l’île qu’ont vue Dougherty, Keates et Stannard a fondu.

Les deux autres hochent la tête pour signifier leur assentiment. Le capitaine prend une bouchée de beigne.

EXT. OCÉAN. CRÉPUSCULE.

Tandis que le Nimrod poursuit son voyage vers l’est, on voit au loin derrière lui, là où le soleil de couche, un grand mur de glace.

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