Le gouvernement du Québec a décidé de fermer une bonne partie de la société pendant presque tout le mois d’octobre. De nombreux commerces et lieux publics ne sont plus accessibles. On annule les rassemblements et les activités sociales. On demande à tous de rester chez eux.
Pendant un mois, donc, on gâche donc la vie de presque tout le monde dans une certaine mesure. Combien? Ça dépend de chacun.
- Il y a des gens qui ont peu de vie sociale, dont les activités sont casanières, voire qui trouvent des avantages au confinement, par exemple parce qu’ils aiment le télétravail. Disons que leur mois est gâché à 0 %.
- D’autres trouvent ça dommage de pas voir leurs amis, ou de pas pouvoir faire du sport, mais ça va, c’est juste un peu moins le fun que la vie normale. Leur vie est gâchée de 5, 10, peut-être 15 % pendant un mois.
- Certains prennent ça plus rough. La plupart des choses qu’ils aiment faire sont annulées. Ils sont déprimés et ne peuvent pas voir leurs proches pour se remonter le moral. Leur mois est 25 ou 50 % moins agréable que d’habitude.
- Il y en a qui sombrent carrément dans la dépression. Ils passent un vraiment mauvais mois, sont sur le bord de trouver que leur vie ne vaut pas la peine d’être vécue. Le pourcentage se rapproche de 100 %…
- En fait, le pourcentage peut dépasser 100 %, si les effets négatifs se poursuivent après la fin du mois de confinement. Peut-être qu’une personne a vu son entreprise détruite par le confinement. Une autre a commencé une dépression dont elle ne se relèvera que dans un an. Si on suppose que sa vie est 90 % pire que la normale pendant 12 mois, on peut dire que le confinement a gâché son mois de 1 080 %.
- À l’extrême, il y a des suicides. La vie des suicidés est gâchée à 100 % de manière permanente. Donc si on reste avec une échelle de un mois, et qu’on suppose le suicide d’une personne de 30 ans qui aurait pu espérer en vivre 50 de plus (soit 600 mois), on se retrouve avec un gâchis de 60 000 %.
Quel est le pourcentage moyen? Impossible de le calculer, mais on peut toujours essayer de l’estimer. Il est clair que la plupart des gens trouvent le confinement difficile. On s’inquiète beaucoup de la santé mentale de la population. (Et puis dans quelque temps, on pourra regarder le taux de suicide et déterminer s’il a augmenté.) Il m’apparaît évident que le pourcentage moyen n’est pas proche de 0 %.
Disons, pour les fins de l’exercice, que ce pourcentage est de 10 %. Ainsi, en moyenne, la vie des Québécois serait gâchée de 10 % pendant un mois.
Arrondissons la population du Québec à 8 millions. Une petite multiplication toute simple…
8 000 000 × 1 mois × 10 % = 800 000 mois
On sacrifie donc, en confinant 8 millions de personnes pendant un mois, 800 000 mois de bien-être.
800 000 mois, c’est environ 67 000 ans. On peut donc en conclure, si toutes nos hypothèses jusqu’ici sont correctes, qu’il faut que le confinement ait sauvé 67 000 années de vie de qualité pour que ça en ait valu la peine.
On sait que la covid tue surtout les personnes âgées. Je crois comprendre que l’âge moyen des victimes est de 80 ans, approximativement. Au Canada, l’espérance de vie d’une personne de 80 ans est d’environ 9 années.
Il y a évidemment plein de complications. Les personnes plus malades ont plus de chance d’être victimes de la maladie, mais ont aussi une espérance de vie plus courte; 9 est peut-être trop. Par contre, il faudrait aussi considérer le coût que paient les gens qui attrapent la maladie et s’en remettent. Ça peut aller de quelques semaines de convalescence à des effets négatifs à long terme dans les cas de « long covid ». Par ailleurs, si les hôpitaux sont saturés à cause des patients de covid, des gens pourraient mourir d’autres causes.
Mais simplifions, et supposons que toutes ces choses s’annulent. Le confinement donne donc en moyenne 9 années de vie à un certain nombre de personnes qui seraient autrement mortes.
Le confinement, pour en valoir la peine, doit donc sauver la vie de 67 000 divisé par 9, soit environ 7 400 personnes.
Pour fins de comparaison, il y a eu 5 970 décès dus à la covid au Québec depuis le début de la pandémie1en date du 13 octobre, selon le site de l’INSPQ.
Un mois de confinement a-t-il sauvé plus de vies qu’on en a perdues à cause du coronavirus au total? Je ne sais pas. Peut-être.
Je confesse mon impression que non. Il y a un bon bout de temps que je soupçonne les mesures assez extrêmes que sont la fermeture des lieux publics et l’interdiction des rassemblements de coûter plus cher qu’elles ne rapportent. (D’autres mesures, comme le masque ou le lavage des mains, coûtent tellement moins cher que le calcul est fort probablement en leur faveur.)
Et ça, c’est en supposant le chiffre de 10 % de perte de jouissance de la vie. Ce chiffre me semble assez conservateur; il est fort possible qu’il soit beaucoup plus grand, notamment si le taux de suicides monte beaucoup. Si on suppose 20 %, il faudrait alors sauver 15 000 personnes pour compenser. Et on parle d’un confinement d’un mois, pris tout seul. On en a déjà eu plus de trois au printemps, et on ne sait pas si le confinement d’octobre va vraiment durer un seul mois2Ceci dit, le phénomène d’adaptation hédonique peut faire en sorte que les gens ne désespèrent pas trop, sur le moyen et long terme, parce qu’ils s’habituent aux nouvelles conditions..
Ce calcul éthique est plein d’approximations et de suppositions. Les vraies valeurs ne seront jamais connues. Mais je vois trop peu de gens, notamment dans les médias et la sphère politique, faire un exercice similaire. Ça m’inquiète. C’est une chose de dire que « des vies sont en jeu ». D’accord, oui, mais combien? Le gouvernement dit se soucier de la santé mentale des Québécois… mais à quel point, concrètement?
On pourrait objecter qu’un tel exercice n’a pas de valeur si les chiffres sont imprécis ou carrément inventés, comme je le fais ici. C’est vrai, ils pourraient être erronés et entraîner de mauvaises décisions. Mais mon but n’est pas d’insister sur les chiffres. De toute façon, on pourra toujours raffiner les estimations. Il n’est pas évident de calculer les impacts du confinement sur la qualité de vie, ni les impacts hypothétiques d’une absence de mesures, mais il y a des moyens. On n’est pas obligés de demeurer dans le noir.
Sauf qu’il faudrait d’abord, collectivement, reconnaître l’existence de l’équation.
Permaliens
Je pense aussi qu’un tel calcul vaut la peine d’être fait, si ce n’est que pour mettre en lumière certains trucs qui auraient été autrement ignorés (e.g., quel est l’effet long terme, en « quality adjusted life years » (QALY), de quelqu’un qui attrape le COVID, mais qui survit? Est-ce qu’on devrait utiliser des QALYs? Veut-on, comme société, aller au delà d’une prise de décision utilitariste, etc.)