Détail d’une carte de Jan Huygen Van Linschoten (1596) dont le titre commence par « Exacta & Accurata », ce qui est quand même effronté pour une carte qui montre un Japon en forme de crevette et une Corée qui serait une île circulaire. Le nord est à gauche.
- Où : là où se trouve la péninsule coréenne
- Quand : la Corée est dessinée comme une île sur quelques cartes européennes des 16e et 17e siècles, quand l’Extrême-Orient était encore mal connu de l’Occident.
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Les pas de RI SU-GIL, haut fonctionnaire au Ministère des Affaires étrangères, font un écho dans le gigantesque hall de marbre du Quartier général du Comité central, à Pyongyang. Il y rejoint KIM THAE-BOT, ministre des Affaires étrangères de la République populaire démocratique de Corée. Ils se saluent.
RI : Salutations, M. Kim. Comme nous nous y attendions, les sismographes étrangers ont détecté les perturbations causées par nos tests près des frontières chinoise et russe. L’écho a retenti dans les médias de nombreux pays. Nous avons fait l’analyse des réactions occidentales, japonaises, chinoises, russes et sud-coréennes. L’inquiétude atteint un niveau rarement égalé dans la communauté internationale.
KIM : Le ministère et le peuple coréen vous remercient pour votre excellent travail, M. Ri.
RI : Nous devons maintenant préparer une réponse à l’attention des gouvernements étrangers.
KIM : Certainement. Je viens justement de m’entretenir à ce sujet avec le Leader suprême, gloire à lui et au peuple coréen.
RI : Gloire au Leader suprême et au peuple coréen! Quelles sont les instructions?
KIM : Nous allons annoncer la transformation de la Corée en une île.
Ri Su-gil ne comprend pas. Il fronce les sourcils.
RI : Une île, M. Kim?
Kim Thae-bot sourit et se met à marcher vers un corridor, suivi de Ri Su-gil.
KIM : Une île, M. Ri. Voyez-vous, le Leader suprême m’a appris tout à l’heure que la péninsule coréenne a déjà été séparée du continent.
RI : Je l’ignorais.
KIM : Et vous n’êtes pas le seul. Cela remonte à des temps immémoriaux. C’est une vérité qu’a découverte le Leader suprême lui-même lorsqu’il s’est rendu sur les ruines d’un ancien temple dans les monts Rangrim.
RI : Je vois.
KIM : Le destin de la République populaire démocratique de Corée est de servir de phare afin de montrer la voie au monde entier. Mais les nations étrangères — même la Chine — refusent de suivre le chemin que nous traçons pour eux. Dans les circonstances, il est dans notre intérêt de nous isoler géographiquement.
RI : Je ne suis pas certain de comprendre, M. Kim.
Kim Thae-bot fait un geste pour inviter Ri Su-gil à entrer dans un bureau. Ils s’assoient sur deux fauteuils entre lesquels est placé un bouquet de fleurs artificielles. Sur le mur, on distingue les portraits de Kim Il-sung et de Kim Jong-il.
KIM : Nous avons une frontière avec la Russie. Or la Russie a une frontière, notamment, avec la Norvège. Et la Norvège fait partie de l’OTAN, la créature malfaisante des États-Unis d’Amérique.
Ri Su-gil fait une grimace à la mention des États-Unis.
KIM : Cette proximité met mal à l’aise le Leader suprême.
RI : Oui, je vois. Mais l’essentiel de notre frontière est avec la Chine.
KIM : J’y arrivais. La Chine, comme vous le savez, est rongée par le cancer capitaliste. Certains de nos compatriotes, influencés par des idées nuisibles, traversent cette frontière et tombent, une fois en Chine, dans un enfer duquel il est extrêmement difficile de les sauver.
RI : Donc…
KIM : Donc, la seule solution est de sécuriser la frontière. Quoi de mieux, pour ce faire, que de nous séparer physiquement de la Chine et de la Russie? Quoi de mieux que de revenir à cet âge d’or découvert par le Leader suprême, lors duquel nous étions libres, sans la contamination de doctrines toxiques? Cela pourrait même nous aider à convaincre les rebelles du sud de notre supériorité idéologique.
RI : C’est donc à cela que servent les explosions souterraines?
KIM : Vous avez tout compris. Notre technologie nucléaire, la plus avancée au monde, nous permet de creuser un canal afin de relier les mers. Votre travail, M. Ri, sera d’expliquer ceci aux puissances étrangères.
RI : En tout respect, M. Kim, peut-on réellement transformer la Corée en une île?
KIM : Doutez-vous des paroles du Leader suprême?
RI : Jamais!
KIM (avec un sourire) : Alors où est le problème?
RI : Il n’y a aucun problème, M. Kim! Je tremble d’impatience à l’idée d’exécuter la volonté du Leader suprême et du peuple coréen.
KIM : Fort bien, M. Ri. Nous vous transmettrons les dossiers dont vous aurez besoin. Le ministère, le peuple coréen et moi-même vous souhaitons le plus grand des succès dans l’exécution de votre tâche.
Ils se saluent, puis Ri Su-gil se lève et quitte le bureau. Kim Thae-bot patiente quelques instants, puis il va chercher un petit linge et se met à astiquer les portraits de Kim Il-sung et de Kim Jong-il en sifflotant.
Permaliens