La politique est un sport et c’est tant mieux

Je parle sans doute au nom de beaucoup gens si j’affirme que l’engouement généralisé pour le sport professionnel est un vrai mystère.

Le sport tout court, oui, d’accord. C’est bon pour la santé, ça fait se sentir bien1Enfin, il paraît. En ce qui me concerne, j’ai jamais vraiment constaté ça, ça permet de rencontrer des gens, d’obtenir un sentiment d’accomplissement, de se discipliner, etc., etc.

Mais le sport professionnel? Genre, le sport-spectacle pour lequel on peut payer vraiment cher afin d’aller le voir en vrai, ou passer des heures devant une télé qui offre des canaux spécialisés exprès pour ça, avec des journalistes et des analystes qui ne se consacrent qu’à ça? Le sport pratiqué par une infime minorité de gens souvent très riches qu’à peu près personne parmi leurs fans ne connaît personnellement? Le sport qui met en scène des rivalités fictives entre des villes ou des pays alors qu’il n’y a souvent pas vraiment de lien entre les membres des équipes et les villes ou les pays auxquels ils sont identifiés?

Qu’il y ait un certain plaisir à regarder un match de quelque chose, je veux bien. Que le sport permette d’appartenir à un groupe, à une culture, certes. Mais comment justifier l’immense quantité d’énergie que nous mettons collectivement là-dedans?

Dit autrement : pourquoi certains trouvent le sport aussi le fun?

Ce sont des questions que je me pose, de temps en temps, fasciné par un phénomène que je peine à comprendre. Par exemple cet été, quand la France a remporté la coupe du monde de soccer et que le Plateau Mont-Royal est devenu une fête interminable, avec des klaxons qui ont résonné toute la journée.

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Et puis survient, comme une comète, un autre phénomène, et soudain je comprends tout.

Les élections. Les élections québécoises, dans mon cas, parce que les canadiennes et les municipales m’intéressent un peu moins (mais quand même).

Je suis assez geek de politique en temps normal pour écrire des articles sur les premiers ministres du Québec ou aller lire l’historique des élections japonaises ou catalanes ou sud-africaines sur Wikipédia. Mais en période électorale, comme celle qui vient de s’écouler du 23 août au 1er octobre, mon intérêt atteint un niveau supérieur.

Je lis religieusement les sites de projections électorales. J’apprends par cœur le nom des circonscriptions. J’écume Twitter et Reddit à la recherche de réactions intéressantes. Je regarde les débats, bien sûr, même celui, très moyen, en anglais. Il y en a des beaucoup plus intenses que moi2Notamment ceux qui font des projections. Des fois je me dis que je devrais créer un modèle de projections, moi aussi, me semble que ça serait le fun., mais je dois quand même être dans la tranche de la population qui s’intéresse le plus à la politique.

Là, le parallèle avec le sport devient apparent.

La politique est un affrontement d’idées, mais aussi de partis — c’est-à-dire d’équipes, avec leur chef, leurs couleurs, leur logo, leur histoire, leurs stratégies, leurs forces et leurs faiblesses. En période électorale, on les regarde s’affronter. On mesure leur performance avec les sondages. On s’intéresse aux gens qui les incarnent comme à des célébrités, même si on ne les connaît pas personnellement.

Surtout, on se passionne pour la chose. Bon, pas tout le monde, mais on est assez à s’intéresser à la politique pour que les sections de commentaires explosent, pour que le sujet s’immisce dans de nombreuses discussions, pour qu’il y ait un foisonnement d’articles et d’émissions de télé. Chacun choisit son camp et tente de convaincre les autres. Les rivalités prennent forme; on a le sentiment de faire partie d’une tribu. Intellectuellement, socialement, tout semble plus tangible, plus défini, plus vrai. Les enjeux sont grands et les émotions, fortes.

Les élections, ce sont les séries éliminatoires, la coupe du monde, les Olympiques.

Et c’est vraiment le fun.

(Quand la CAQ a gagné majoritaire, le 1er octobre dernier, j’étais déçu pour plusieurs raisons, mais notamment celle-ci : majoritaire, ça veut dire qu’il faudra attendre quatre ans avant les prochaines élections! C’est long!)

C’est lors des élections que je crois comprendre un peu mieux l’intérêt pour le sport professionnel. Je parviens alors, je pense, à imaginer ce qui ressentent les fans de sport lors d’événements sportifs majeurs. Le désir intense de l’emporter, l’envie d’éplucher des statistiques pour savoir à quel point c’est probable. Le plaisir de savoir qu’il se passe quelque chose d’excitant dont l’issue n’est pas certaine.

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Il y a quand même des différences importantes entre sport et politique. D’abord celle-ci : mon gouvernement s’intéressera à moi même si je ne m’intéresse pas à lui. En contrepartie, si je me fous du sort des Carpes de Hiroshima dans la Ligue centrale de baseball du Japon, ça ne change pas grand-chose à mon existence.

De cette différence en découle une autre : il y a beaucoup plus de gens qui détestent3Je dis « détester » dans le sens de ne pas aimer quelque chose au-delà de simplement ne pas s’y intéresser. la politique que de gens qui détestent le sport. Enfin, c’est mon impression. Les gens chialent beaucoup contre la politique, trouvent tous les politiciens pourris, croient que le système est mal foutu. C’est compréhensible : la politique est difficile et complexe et multidimensionnelle, beaucoup plus que le sport, et cela cause nécessairement des insatisfactions. Or comme elle joue également un rôle inévitable dans nos vies, on finit souvent par la détester. Certains disent qu’on devient « cynique ».

La solution — enfin, une solution partielle, qui ne peut sans doute s’appliquer qu’à un petit nombre de personnes, mais une solution quand même — est pourtant la même que celle qui permet d’améliorer l’impact du sport dans une vie. Je m’en suis rendu compte pendant la dernière campagne : la politique, comme le sport, est (encore) plus intéressante et amusante lorsqu’on y prend part — au-delà du geste minimal de voter.

Comment?

D’abord, choisir son camp. Si on vous entraîne malgré vous voir un match de baseball qui ne suscite rien d’autre chez vous qu’un désintérêt suprême, choisissez tout de même une équipe — au hasard s’il le faut —; ce sera beaucoup moins pénible. Vos émotions n’atteindront pas l’intensité qu’elles auraient si vous vous passionniez vraiment pour les Carpes de Hiroshima, mais vous en aurez quand même, ce qui est toujours bien mieux que l’ennui.

En politique, il suffit de choisir l’un des partis et — si vous voulez aller un peu plus loin — d’en devenir membre. Ça ne coûte pas grand-chose et ça ne vous engage à rien; vous avez quand même le droit d’être en désaccord avec votre parti quand vous voulez.

Évidemment, ça peut être difficile si tous les partis proposent une chose à laquelle vous vous opposez. C’est plus facile si, comme moi, vous vous rendez compte que l’un des partis correspond globalement assez bien à vos valeurs. Cela dit, vous ne serez jamais d’accord avec un politicien sur tout, alors aussi bien apprendre l’art du compromis.

(Naturellement, il n’y a pas que les partis : toutes sortes d’organisations de la société civile jouent un rôle politique, et vous pouvez vous impliquer en leur sein. Mais histoire de ne pas m’égarer, je m’en tiens aux partis.)

L’étape suivante, c’est de s’impliquer concrètement. L’analogie, c’est de pratiquer soi-même le sport. Si je regarde un match de cricket sans en avoir jamais fait, ça reste une abstraction, un phénomène qui m’est étranger. Ce sera de loin plus intéressant si je joue moi-même au cricket — et j’aurai en prime tous les avantages pour la santé, la vie sociale, etc.

En politique, ce n’est encore là pas très compliqué. Lors des élections, tous les partis ont besoin de bénévoles et accepteront volontiers votre implication4ils accepteront aussi votre argent, si c’est ce que vous avez à donner, mais il me semble que c’est une façon moins intéressante de s’impliquer, aussi minime soit-elle. En prime, vous pourriez vous faire des amis qui partagent vos convictions.

C’est là que je me suis arrêté pendant la dernière campagne. J’ai fait du bénévolat à quelques reprises et je suis allé à plusieurs événements sociaux de mon parti. Naturellement, on peut aller plus loin, en occupant des postes importants au sein de la base militante ou auprès des politiciens eux-mêmes (attachés politiques, etc.). L’équivalent de devenir un athlète professionnel, disons, c’est d’être candidat.

Peu importe votre niveau d’implication, vous risquez vivre une campagne électorale bien meilleure qu’une personne qui se contente d’être spectatrice. Participer, tenter d’influencer les choses un tant soi peu, c’est le fun.

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La récompense — ou le prix à payer — c’est que le résultat des élections risque de vous affecter beaucoup plus. En bien, si vous gagnez, mais ça peut aussi être en mal. Les partisans du PQ et du PLQ en savent quelque chose.

Mais ne recherche-t-on pas les émotions fortes? Ne sont-elles pas, au final, la principale raison qu’ont les fans de regarder du sport professionnel? La joie ne peut atteindre une grande force que si elle vient avec un risque réel de déception ou de colère. Quand les jeux ne sont pas faits, ils sont d’autant plus passionnants.

C’est cette similitude-là qui est, je crois, la plus importante. On peut le voir d’une autre manière : le sport et la démocratie sont tous deux des moyens de simuler des conflits sans qu’il y ait (trop) de violence. Je pense que nous avons besoin, comme humains, de ce genre de compétition.

Certains voudraient que la politique soit moins vue comme une sorte de concours médiatique qui met en scène des partis qui s’affrontent. En effet, il serait souhaitable que nous débattions plus d’enjeux et moins de la personnalité des chefs politiques ou de marketing électoral. Il serait aussi souhaitable que les enjeux les plus importants aient plus de poids que ceux qui suscitent les réactions les plus vives, car les deux catégories ne correspondent pas toujours.

Pour autant, il ne faudrait pas que la politique devienne un spectacle technocratique ennuyant auquel la population peine à s’intéresser. Il faut que la politique reste un sport. Il faut qu’on continue de se passionner pour elle, et, surtout, qu’on continue de pouvoir y participer.

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