Les îles Aurora

Détail d’une carte de l’Amérique du Sud de Karl von Spruner (1855).

  • Où : dans l’Atlantique Sud, entre les Malouines et la Géorgie du Sud
  • Quand : « observées » pour la première fois en 1762 et pour la dernière fois en 1856
  • Pourraient être en réalité : les Shag Rocks, un archipel de six rochers rattaché à la Géorgie du Sud1Voir ce lien pour une analyse de la découverte des îles Aurora et de ce qu’elles pourraient avoir été
  • Font une apparition littéraire dans : Les Aventures d’Arthur Gordon Pym d’Edgar Allan Poe (1838) et Terrae Incognitae de Barbara Hodgson (2001)

//

Nous sommes en l’an de grâce 1794, et l’âge d’or de l’Espagne tire à sa fin. L’âge d’or des explorations aussi, d’ailleurs. Les deux allaient de pair. Il n’y a pas si longtemps, un intrépide capitaine pouvait naviguer dans une direction au hasard et trouver un archipel où pousse une nouvelle épice, ou les temples d’un peuple mystérieux, ou même un continent en entier, grouillant de bêtes dont on n’eût jamais cru qu’elles pussent appartenir à la Création. Il n’y a pas si longtemps, un royaume comme l’Espagne pouvait amasser une fortune sans précédent rien qu’en allant la chercher dans les recoins du monde.

Rien de tel, en l’an de grâce 1794. En l’an de grâce 1794, la Descubierta et l’Atrevida écument l’Atlantique Sud, au terme d’une expédition scientifique de quatre ans dans le Pacifique. Sur la route du retour à Cadix, après avoir franchi le cap Horn et visité les Malouines, l’Atrevida est envoyée seule vers l’est, avec le dessein de confirmer l’existence d’une poignée de rochers perdus.

Ils ont été vus trente-deux ans plus tôt par l’Aurora, de la marine marchande, qui leur a donné son nom. Mentionnés à quelques reprises depuis. Décrits sommairement en 1790 : trois îles, alignées du nord au sud.

En l’an de grâce 1794, un navire scientifique, avec parmi son équipage tout ce qu’il faut d’éminents hydrographes et astronomes, va régler leur cas hors de tout doute.

Mais l’Atrevida, disions-nous, revient de quatre ans d’expédition dans le Pacifique, et nous pouvons imaginer à bord une certaine lassitude. José de Bustamante y Guerra, le capitaine, se plaint du temps défavorable qui force la frégate à rester immobile et à subir le déferlement des flots. Le 20 janvier, on aperçoit enfin la première des îles Aurora. Les conditions météo ne s’améliorent pas, et Bustamante décide de se diriger vers le nord. Deux autres îles sont repérées. Partiellement couvertes de neige, de forme vaguement pyramidale. Il est impossible d’accoster, mais l’équipage est assez expérimenté pour ne pas confondre îles et icebergs, et cela semble suffisant : le 27 janvier, Bustamante déclare être satisfait des observations enregistrées, et l’Atrevida repart vers les côtes plus hospitalières de la Patagonie, où l’attend la Descubierta.

Nous sommes en l’an de grâce 1794 et l’âge d’or de l’Espagne s’apprête à se terminer en même temps que l’âge d’or des explorations. De retour en Europe, Alessandro Malaspina, capitaine de la Descubierta et commandant de la plus grande expédition scientifique de l’histoire espagnole, est mis en prison pour avoir comploté contre l’État. Les notes sur l’histoire naturelle et politique, les esquisses et les peintures, les échantillons minéraux et botaniques : tout ce qui fut collecté pendant ce voyage disparaît de la circulation pour n’être redécouvert que cent ans plus tard.

Seul est publié un atlas — trente-quatre cartes de la côte ouest nord-américaine, des Philippines, des Tonga, de la mer de Tasman. Un excellent travail, à un détail près : trois petits points, sur la carte de l’Atlantique Sud, qui prétendront exister pendant encore un demi-siècle.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *