150 ans de premiers ministres québécois (première partie)

Le Canada souligne ces jours-ci le cent-cinquantième anniversaire de sa confédération, ce qui signifie que le Québec a 150 ans lui aussi, ce qui nous donne une occasion en or pour nous intéresser aux 31 personnes qui furent à un moment ou un autre premier ministre de la province. Tim Urban, du blogue Wait But Why, a fait la même chose avec les présidents des États-Unis (partie 1, partie 2, le reste est à venir), et je me suis dit que même si nos chefs de gouvernement n’ont ni la notoriété ni le caractère mythique des leaders américains, ils méritent tout de même qu’on s’attarde un peu à eux — ne serait-ce que pour la grande diversité de leur pilosité faciale.

Si vous avez cliqué sur cette page par erreur et considérez la possibilité de vous enfuir en courant afin de ne pas vous taper une leçon d’histoire à n’en plus finir, j’aimerais vous rassurer (et vous dire de rester) : on va rendre ça divertissant.

Quelques statistiques en commençant

1) Quatre partis politiques ont déjà détenu le poste de premier ministre. Le Parti libéral du Québec existe depuis le début (et fête donc son 150e anniversaire lui aussi). Ses trois principaux adversaires furent, successivement, le Parti conservateur du Québec (1867-1935); l’Union nationale (1935-c.1973); et le Parti québécois (depuis 1973).

2) Il y a beaucoup de variance dans la durée des mandats. Pierre-Marc Johnson a régné 70 jours et Maurice Duplessis, 6655 (soit 18 ans et 82 jours). La moyenne1en excluant le titulaire actuel du poste est de 1806 jours, soit 4 ans et 345 jours.

3) Les libéraux ont été au pouvoir de manière ininterrompue entre 1897 et 1936. On le voit bien sur ce graphique2Source (cliquer pour agrandir) :

Deux grosses barres rouges de 15 ans consécutives, celles de Lomer Gouin et Louis-Alexandre Taschereau. De quoi remettre les choses en perspective en cette ère libérale quasi-ininterrompue depuis 2003.

4) On pourrait faire du guacamole avec nos premiers ministres : 22 sur 31 étaient ou sont avocats (plus un notaire). Les autres professions les mieux représentées sont les journalistes, les médecins et les économistes.

5) La famille Johnson a donné trois premiers ministres et ils appartenaient tous à un parti politique différent. Daniel 1 et ses deux fils, Pierre-Marc et Daniel 2 : respectivement membres de l’Union nationale, du Parti québécois et du Parti libéral. Personnellement, je trouve ça fou.

6) Devenir premier ministre en gagnant des élections? Bof. On aurait tendance à croire que la norme, c’est qu’on devienne premier ministre après que son parti a remporté une élection générale. Que nenni! 20 premiers ministres sur 31 ont accédé au poste à la suite d’une démission, d’un décès ou de la décision du lieutenant-gouverneur de se débarrasser d’un premier ministre gênant. Parmi eux, 10 n’ont pas remporté d’élection par la suite.

*

Sur ce, téléportons-nous en 1867. La Confédération est entrée en vigueur le 1er juillet et la Province du Canada a été scindée en deux parties, l’Ontario et le Québec, pour former avec le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse le Dominion du Canada et ses fleurons glorieux. À Ottawa, John A. Macdonald vient d’être élu à la tête du gouvernement fédéral, tandis qu’à Québec…

 

1) Pierre-Joseph-Olivier Chauveau

Dates : né en 1820, mort en 1890, premier ministre de 1867 à 1873

Profession : avocat, écrivain

Parti : conservateur

Pilosité faciale : rouflaquettes (sideburns)

Les États-Unis ont Washington. Le Canada a Macdonald. Des figures peut-être pas légendaires, mais tout de même célèbres dans leur pays respectif, en tout cas assez pour les mettre sur des billets de banque. Levez la main si vous saviez qui était le premier premier ministre du Québec avant de lire cet article.

Je m’en doutais. C’est comme plate, être le numéro un et n’être pas plus connu que ça.

Faut dire que Pierre-Joseph-Olivier « PJO »3parmi ceux qui le surnomment PJO, on retrouve notamment moi et je sais pas qui d’autre Chauveau est devenu premier ministre du Québec un peu par hasard. Les conservateurs, qui dominaient la politique du Canada-Uni, avaient prévu mettre un certain Joseph-Édouard Cauchon à la tête du premier gouvernement du Québec, mais — malheur — ce Cauchon s’avère méga-impopulaire auprès des protestants. On propose à PJO de prendre sa place (il est alors surintendant de l’Éducation et a été ministre). Il accepte et, en juillet 1867, devient le premier premier ministre de la province, comme ça, quelques mois avant les élections.

Mandat : PJO mène ses troupes à la victoire aux élections d’août-septembre 1867 et passe les années suivantes à mettre en place la fonction publique, à diviser l’éducation en systèmes catholique et protestant, à essayer de refiler la dette du Canada-Uni à l’Ontario et à tenter d’endiguer l’émigration des Canadiens français vers les États-Unis. Il parvient surtout à perdre sa crédibilité et se faire détester de tout le monde. Malgré tout, il remporte les élections de 1871, seulement pour démissionner deux ans plus tard, aux prises avec des problèmes personnels, des dettes et un fâcheux manque de motivation.

C’est correct, PJO, on comprend.

En vrac :

  • Il est devenu professeur de droit après sa carrière politique, mais là non plus on ne l’aimait pas beaucoup. Ses étudiants et collègues souhaitaient son renvoi. Ça ne l’a pas empêché de devenir doyen de la faculté
  • Orphelin de père, il a été élevé par un grand-père riche et a développé un tempérament d’enfant gâté. Ceci explique peut-être cela
  • Il était chauvin à l’égard de sa ville natale, Québec, et n’hésitait pas à en défendre les intérêts en opposition à Montréal (rivalité quand tu nous tiens)
  • PJO était peut-être le plus littéraire de nos premiers ministres. Dans la vingtaine, alors jeune député, il a publié anonymement l’un des premiers romans québécois, Charles Guérin : roman de mœurs canadiennes4Lien wikisource. Ce ne fut pas un chef-d’œuvre (« dialogues creux, situations convenues »5Source : Les premiers ministres du Québec, Maison Nouvelle fédération), mais combien connaissez-vous de politiciens qui sont aussi romanciers?
  • Il a aussi commis en 1841 un poème sur la neige, ce qui fait de lui un précurseur d’Émile Nelligan et son « Ah! Comme la neige a neigé! », mais en plus naïf — ce qui nous permet de finir sur une note pas trop tragique.

Oh ! que j’aime la neige ! Oh ! que j’aime à la voir
Descendre par flocons sur le sol encor noir !
Ou bien, quand elle tombe en poussière si fine
Que l’on croirait qu’un ange épand de la farine
Pour donner des gâteaux à nous, petits enfants.
Et puis, maman, j’en fais des bonshommes tout blancs,
Et j’élève des forts que mon grand frère assiège :
Oh! que j’aime la neige !6Poème entier ici

 

2) Gédéon Ouimet

Dates : né en 1823, mort en 1905, premier ministre de 1873 à 1874

Profession : avocat

Parti : conservateur

Pilosité faciale : barbe complète

L’un des nombreux premiers ministres avocats, Gédéon Ouimet est député, bâtonnier du Barreau du Québec, président de l’Association Saint-Jean-Baptiste de Montréal et procureur général (ce qui correspond plus ou moins au poste de ministre de la Justice) dans le gouvernement de Chauveau. En 1873, ce dernier démissionne et Ouimet est choisi par les conservateurs fédéraux pour le remplacer. Il occupe simultanément, comme Chauveau avant lui, les postes de ministre de l’Instruction publique, de Secrétaire provincial (un genre de ministre de l’Intérieur) et de Registraire provincial. Multitâche, ce Ouimet.

Mandat : Marqué par des investissements massifs dans le domaine du chemin de fer, le règne de Gédéon Ouimet fut écourté par une transaction immobilière controversée, le scandale des Tanneries. Le gouvernement avait échangé un terrain de 200 000 $ contre un autre valant 40 000 $, permettant à un organisateur du Parti conservateur d’empocher 65 000 $ au passage. Ouimet sera blanchi, mais la plupart de ses ministres démissionnent, suivis de lui-même en septembre 1874.

En vrac :

  • Il était le 26e enfant d’un couple de cultivateurs lavallois. J’essaie d’imaginer avoir 25 frères et sœurs aînés et je n’y arrive pas.
  • Après sa démission, il passe 29 ans comme surintendant de l’Instruction. C’est drôle comme l’éducation semble être un sujet crucial pour les premiers ministres de l’époque. C’est à se demander pourquoi on n’a pas le meilleur système du monde au Québec en 2017. (La réponse dans quelques instants en compagnie de Charles Boucher de Boucherville)

 

3) Charles Boucher de Boucherville

Dates : né en 1822, mort en 1915, premier ministre en 1874-1878 et en 1891-1892

Profession : médecin

Parti : conservateur

Pilosité faciale : barbe complète

Descendant d’un seigneur et administrateur de la Nouvelle-France, Charles-Eugène Boucher de Boucherville fait sa médecine à McGill et à Paris, pratique à Varennes pendant une vingtaine d’années, et déménage en 1861 à (qui l’eût cru) Boucherville où il fait le saut en politique. Député jusqu’à la confédération, il est ensuite nommé au Conseil législatif du Québec (l’équivalent du Sénat). À la démission de Ouimet, les conservateurs le choisissent pour former le nouveau gouvernement parce que personne ne le déteste.

Mandat : Boucher de Boucherville s’emploie à désamorcer le scandale des Tanneries, puis il passe une série de réformes électorales qu’on tient pour acquises aujourd’hui, comme le scrutin secret (auparavant, on votait en écrivant le nom d’un candidat dans un livre). Il gagne les élections suivantes, en 1875, et gouverne jusqu’à ce qu’une affaire de chemin de fer entraîne sa chute. (C’est drôle de constater à quel point le transport ferroviaire occupait une place importante à l’époque comparé à aujourd’hui. Perso, je crois que je n’ai jamais pris le train au Canada.) En 1878, le parlement signe une loi pour forcer les municipalités à payer pour la construction des voies ferrées que le gouvernement en déficit ne pouvait plus financer. Pas si vite! rétorque alors le lieutenant-gouverneur7équivalent du gouverneur-général, représentant de la reine de la province. Il s’appelle Luc Letellier de Saint-Just, appartient au parti libéral, et ne s’embarrasse pas de préoccupations éthiques lorsqu’il utilise le prétexte de la loi pour démettre Boucher de Boucherville de ses fonctions — malgré sa majorité parlementaire — et confier le pouvoir aux libéraux. Ce geste entrera dans l’histoire comme le « coup d’État de Letellier de Saint-Just ».

Treize ans plus tard, Boucher de Boucherville redevient premier ministre dans des circonstances similaires à celles de sa destitution : un lieutenant-gouverneur conservateur qui dépose un premier ministre libéral pour aucune raison valable.

Mandat (bis) : Ce mandat ne durera pas longtemps — Boucher de Boucherville démissionne après un an parce qu’il n’aime pas le nouveau lieutenant-gouverneur Chapleau8Ça fait beaucoup d’interaction avec les lieutenants-gouverneurs. De nos jours, ils ne font pas grand-chose les lieutenants-gouverneurs, à part coûter cher et occasionnellement frauder le système. Il a néanmoins le temps d’accorder un droit de vote (très limité) aux femmes, qui pourront désormais participer aux élections municipales et scolaires (mais pas comme candidates, quand même, faut pas exagérer).

En vrac :

  • Il doit son nom redondant à son ancêtre, Pierre Boucher, qui fonda la ville de Boucherville et se fit attribuer la seigneurie du même nom
  • C’est lui qui a, si l’on peut dire, tout gâché en matière d’éducation. Alors que le ministère de l’Instruction publique était une priorité pour les deux gouvernements précédents, Boucher de Boucherville a aboli le poste de ministre de l’Instruction et subordonné le surintendant (Ouimet) à un conseil dominé par les chefs catholiques et protestants. L’influence démesurée des religions sur l’éducation durera jusqu’aux années 1960. Pas la meilleure décision, mon Charles.

 

4) Henri-Gustave Joly de Lotbinière

Dates : né en 1829, mort en 1908, premier ministre de 1878 à 1879

Profession : avocat, sylviculteur et seigneur

Parti : libéral

Pilosité faciale : combinaison épique de rouflaquettes + une moustache impériale (style Guillaume Ier)

Henri-Gustave Joly de Lotbinière est une anomalie dans le paysage politique québécois du XIXe siècle. Né en France, protestant mais francophone, il est le seul libéral au pouvoir pendant les 20 premières années de la confédération, et il forme le seul gouvernement minoritaire pré-20079Quoique ça dépend des définitions, je pense. C’est le seul à avoir remporté des élections sans majorité parlementaire avant Jean Charest en 2007, disons-le comme ça.. Ah, et il est devenu vers la fin de sa vie lieutenant-gouverneur de… la Colombie-Britannique.

Son père franco-suisse épouse la seigneuresse de Lotbinière lors d’un voyage au Canada, et toute la famille s’installe dans la seigneurie après sa naissance. Henri-Gustave fait sa scolarité en France et devient avocat au Canada. Il se joint aux libéraux anti-confédération, puis, la confédération faite, devient le chef d’un Parti libéral du Québec plutôt faible puisque la plupart des grands noms font carrière à Ottawa. Quand Luc Letellier de Saint-Just fait son coup d’État contre Charles Boucher de Boucherville, Henri-Gustave Joly de Lotbinière10Apparemment tout le monde à l’époque avait un nom super intense et aristocratique devient premier ministre même s’il n’a que 19 députés sur 65.

Mandat : Joly de Lotbinière n’a pas tellement le choix de convoquer des élections pour tenter d’obtenir une majorité parlementaire. Le résultat est équivoque : 32 conservateurs, 31 libéraux et 2 « conservateurs indépendants ». Joly de Lotbinière parvient à rester au pouvoir pendant 18 mois, mais l’instabilité de son gouvernement ne lui permet pas d’accomplir grand-chose d’autre. Vive notre système uninominal à un tour et ses gouvernements presque toujours majoritaires, hein?

Après que cinq libéraux l’eurent trahi en rejoignant les conservateurs, Joly de Lotbinière démissionne. Plus tard, il cède sa place comme chef libéral à Honoré Mercier et entame une deuxième carrière en administration seigneuriale et en foresterie. Il revient à la politique dans les années 1890, mais sur la scène fédérale; il sera ministre, puis, eh oui, lieutenant-gouverneur de la Colombie-Britannique parce que pourquoi pas.

En vrac :

  • Premier politicien canadien à suggérer l’adoption du système métrique, 70 ans avant l’heure
  • En tant que ministre fédéral, il accompagne le vice-roi chinois Li Hongzhang venu faire un tour en Occident. Il lui promet d’améliorer les lois sur le traitement des Chinois établis au Canada. Pour ses efforts, l’Empire chinois le décore de l’Ordre du Double Dragon. Je ne crois pas qu’il existe un ordre honorifique plus cool que l’Ordre du Double Dragon.
  • Le père d’Henri-Gustave, Pierre-Gustave Joly, était lui-même un personnage digne d’intérêt. Homme d’affaires et chimiste amateur, il est aussi l’un des premiers photographes au monde et le premier à avoir photographié le Parthénon à Athènes.

 

5) Joseph-Adolphe Chapleau

Dates : né en 1840, mort en 1898, premier ministre de 1879 à 1882

Profession : avocat, journaliste

Parti : conservateur

Pilosité faciale : moustache

Grand orateur, Chapleau est une figure politique marquante de son époque, et sa biographie m’a pris un million d’années à lire et m’a fait prendre conscience que même en divisant les premiers ministres en trois articles de blogue ça va me prendre vraiment beaucoup de temps. Bref. Grand orateur, Chapleau est une figure marquante de son époque, qui participe à presque tous les événements politiques dont j’ai parlé jusqu’ici. Il a été ministre sous Ouimet et a démissionné lors du scandale des Tanneries. Pendant le bref règne de Joly de Lotbinière, il devient chef conservateur et subséquemment premier ministre. Trois ans plus tard, il échange son poste avec celui d’un ministre fédéral (Mousseau) et connaît une carrière mouvementée à Ottawa. Il finira sa carrière comme lieutenant-gouverneur du Québec, provoquant la démission du premier ministre Boucher de Boucherville. Chapleau était un conservateur avec des tendances libérales, et au sein de son parti les ultramontains — des catholiques pour qui le pape est un surhomme et pour qui l’Église devrait primer sur tout le reste11en gros, l’équivalent catholique-XIXe siècle des islamistes du XXIe12Boucher de Boucherville était un ultramontain, ce qui explique son affreuse décision sur l’éducation — ne l’aimaient pas beaucoup.

Mandat : Après la chute de Joly de Lotbinière, Chapleau se retrouve à la tête du gouvernement mais aussi d’un parti divisé entre les ultramontains et les conservateurs modérés. Il encourage notamment la colonisation des Laurentides. Le geste le plus marquant de son ministère est sans doute la négociation d’accords économiques avec la France — la première collaboration entre le Québec et son ancienne mère-patrie depuis la conquête.

En vrac :

  • Premier premier ministre né après les années 1820
  • À 38 ans, deuxième plus jeune premier ministre (après Robert Bourassa)
  • Il a joué un rôle important dans des journaux de l’époque comme La Minerve, Le Monde et La Presse. La séparation entre la presse et le pouvoir politique? Connaît pas. (PKP, tu es né un siècle trop tard.)

 

6) Joseph-Alfred Mousseau

Dates : né en 1838, mort en 1886, premier ministre de 1882 à 1884

Profession : avocat, journaliste

Parti : conservateur

Pilosité faciale : aucune

Passons vite sur Joseph-Alfred Mousseau, qui de toute façon est un clone de Chapleau. Ils ont pratiqué le droit ensemble. Ils ont fondé un journal ensemble. Ils étaient tous deux des conservateurs progressistes, et ils ont suivi une trajectoire similaire dans le parti, Chapleau au provincial, Mousseau au fédéral. Tels des dresseurs qui échangent leurs Pokémons, Mousseau et Chapleau permutent leurs postes en 1882. Je vous avoue que je commence à être tanné de ces premiers ministres qui deviennent premiers ministres pour toutes sortes de raisons qui n’ont rien à voir avec gagner des élections.

Mandat : Continuation du règne de Chapleau. Pressions intenses de l’aile ultramontaine du Parti conservateur. Essentiellement, Ottawa gouverne Québec par personne interposée. Le seul événement marquant sera (naturellement) une transaction ferroviaire controversée. Mousseau finit par démissionner pour devenir juge, et m’a vous dire, je suis tanné de ces premiers ministres qui démissionnent pour toutes sortes de raisons qui n’ont rien à voir avec perdre des élections.

En vrac :

  • Premier premier ministre québécois à mourir, à 48 ans
  • C’était un bourreau de travail, du moins quand il pratiquait le droit. Il travaillait jusque tard dans la nuit et selon un ami « il se tenait éveillé en prenant une dizaine de tasses de café et souvent d’autres stimulants »13Source.

 

7) John Jones Ross

Dates : né en 1831, mort en 1901, premier ministre de 1884 à 1887

Profession : médecin

Parti : conservateur

Pilosité faciale : barbiche et moustache

Avec John Jones Ross, coincé entre Mousseau et Taillon, nous sommes en plein trou noir des premiers ministres oubliables. Ross est un autre premier ministre qui siégeait au Conseil législatif plutôt que d’être élu. Comme 100% des humains ayant vécu en 1874, il a été impliqué dans le scandale des Tanneries.

Mandat : Il est choisi par les conservateurs fédéraux (encore eux) pour remplacer Mousseau. Il assainit les finances publiques, mais l’affaire Louis Riel14 Si vous avez cliqué sur cette note, c’est forcément que vous voulez en savoir plus sur l’affaire Riel. Voici : Louis Riel était un leader du peuple métis dans les Prairies. Il a mené deux rébellions, dont la première s’est soldée par la création de la province du Manitoba, et la deuxième par son arrestation et son exécution. Les Canadiens français, qui aimaient bien Riel et le voyaient comme un héros francophone de l’ouest, se sont sentis trahis par le gouvernement fédéral dont le chef, Macdonald, aurait même dit de Riel : « Il sera pendu, même si tous les chiens du Québec aboient en sa faveur. » Charmant, ce Macdonald (not) lui cause de grands soucis en 1885. Plusieurs conservateurs en veulent à Ross de n’avoir rien fait pour éviter la pendaison du chef métis, et ils forment avec les libéraux une coalition, le Parti national, qui défait les conservateurs aux élections. Ross se met les mains devant les yeux, refuse de voir la réalité en face, et continue de gouverner pendant quelques mois malgré tout. Il démissionne en janvier 1887.

En vrac :

  • Il a présidé le Collège des médecins avant d’entrer en politique
  • Malgré son nom anglais (son père était écossais), il était francophone et (je crois) catholique

 

8) Louis-Olivier Taillon

Dates : né en 1840, mort en 1923, premier ministre en janvier 1887 et de 1892 à 1896

Profession : avocat

Parti : conservateur

Pilosité faciale : méga barbe complète et fourchue

Ultramontain, Louis-Olivier Taillon a pensé devenir prêtre avant de se tourner vers le droit et la politique. Il devient premier ministre lorsque Ross lui cède le pouvoir, après sa défaite électorale, dans l’espoir de rallier les nationalistes religieux qui avaient déserté les conservateurs à la suite de l’affaire Riel.

Mandat : Ça marche fuckall. Le mandat de Taillon dure quatre jours.

Mandat (bis) : Heureusement pour sa postérité, il redevient premier ministre cinq ans plus tard, après le deuxième mandat de Boucher de Boucherville. Il n’accomplit pas grand-chose. Le Manitoba fait une autre apparition dans cette histoire grâce à la controverse sur les écoles françaises, qui ont été abolies dans cette province de plus en plus colonisée par les anglophones. Taillon quitte la politique provinciale pour aller défendre les droits des Franco-Manitobains chez les conservateurs fédéraux, sans succès.

En vrac :

  • Il avait une belle voix de baryton et affectionnait les « chants patriotiques »
  • Je lui décerne le prix de la meilleure barbe de premier ministre (désolé Philippe Couillard). Selon mes recherches, il la tiraillait en alternance de la main droite et de la main gauche lorsqu’il était nerveux

 

9) Honoré Mercier

Dates : né en 1840, mort en 1894, premier ministre de 1887 à 1891

Profession : avocat, journaliste

Parti : libéral / parti national

Pilosité faciale : moustache en chevron

Après une suite interminable de conservateurs sans éclat survient un vent de fraîcheur avec Honoré Mercier, le premier premier ministre dont la stature est celle d’un chef d’État. Grand nationaliste canadien français, défenseur de l’autonomie des provinces contre les fédéraux centralisateurs et ennemi juré de Macdonald15Macdonald qui, du point de vue de la politique québécoise, me fait de plus en plus penser à une sorte de seigneur maléfique dont l’ombre plane sur toute la deuxième moitié du XIXe siècle, il est également plutôt pro-Église contre la faction anticléricale de son parti. Son ascension vers le pouvoir passe par un poste de ministre dans le gouvernement de Joly de Lotbinière, puis par la fondation du parti national (un quasi-synonyme de « parti libéral ») pour rallier les nationalistes outrés de la pendaison de Louis Riel et gagner les élections contre Ross.

Vers la fin de sa vie, il prononce un discours à Montréal dans lequel il parle d’émanciper le Canada de sa tutelle coloniale. On le soupçonne de souhaiter la création d’une république canadienne-française — cela ferait de lui le premier premier ministre à envisager quelque chose comme l’indépendance du Québec.

Mandat : Mercier commence par régler une question impliquant les jésuites et le pape qui lui vaut de longs paragraphes biographiques ennuyants, mais que nous allons sauter. Plus intéressante est l’organisation, à son initiative, de la première Conférence interprovinciale de l’histoire du Canada. Macdonald, allergique à l’idée que les provinces puissent obtenir plus de pouvoirs, boycotte la conférence — tout comme la Colombie-Britannique et l’Île-du-Prince-Édouard, qui sont trop peureuses pour déplaire à Macdonald — mais les premiers ministres des cinq autres provinces se rencontrent et jettent les bases du fonctionnement de la fédération tel qu’on le connaît aujourd’hui. Pour le reste, Mercier adopte des mesures économiques et agricoles, fait la promotion de la langue française et du catholicisme, encourage les contacts avec les Canadiens français établis en dehors de la province, et lance le projet du Pont de Québec. Il est très populaire, et les libéraux sortent majoritaires des élections de 1890.

Puis l’histoire se répète. En 1891, un scandale ferroviaire éclate. Les accusations de corruption à l’endroit de Mercier ne sont pas fondées, mais le lieutenant-gouverneur le démet de ses fonctions, ce qui force le Québec à se taper des rediffusions poches de fin de soirée intitulées « Charles Boucher de Boucherville » et « Louis-Olivier Taillon ».

En vrac :

  • Vers la fin de son mandat, il visite l’Europe et s’y comporte en chef d’État, ce qui irrite ses adversaires
  • Il était diabétique et est mort à 54 ans
  • Après sa mort, il devient une figure mythologique dans l’imaginaire québécois. On se recueille sur sa tombe par milliers. On en fait la personnification du patriotisme canadien français, seule assurance de la survie du peuple. Pourtant, à partir des années 1940, il sombre peu à peu dans l’oubli, ce qui explique pourquoi son nom évoque surtout, de nos jours, un pont dans la région de Montréal.

 

10) Edmund James Flynn

Dates : né en 1847, mort en 1927, premier ministre de 1896 à 1897

Profession : avocat

Parti : conservateur

Pilosité faciale : rouflaquettes + moustache (friendly muttonchops)

Le dernier premier ministre conservateur de l’histoire du Québec était à la base un libéral — Edmund James Flynn faisait partie des cinq députés que les conservateurs ont convaincu de changer de camp pour défaire le gouvernement de Joly de Lotbinière. Il occupe plusieurs ministères avant de devenir premier ministre lorsque Taillon part pour le fédéral.

Mandat : Rien de spécial, excepté que le gouvernement fédéral agrandit le Québec en lui donnant l’Abitibi. Moins ultramontain que ses prédécesseurs, Flynn tente de redresser un parti conservateur en perte d’estime : à Ottawa, les libéraux de Wilfrid Laurier sont populaires, ce qui se ressent aussi à Québec. Lorsqu’il perd les élections de 1897, les conservateurs ne le savent pas encore, mais le pouvoir ne leur reviendra jamais entre les mains. (À moins que.)

En vrac :

  • En 1892, il est élu à la fois député de Gaspé et député de Matane. Apparemment c’était OK d’être candidat dans deux circonscriptions en même temps. Flynn choisit Gaspé et laisse tomber Matane.

 

*

 

Le règne de Flynn marque la fin d’une époque, mais aussi la fin du premier tiers des 31 premiers ministres. Nous allons nous arrêter là. La prochaine fois, on commence avec 39 ans de règne libéral. Vous avez déjà hâte, je le sens. (Lien vers la 2e partie)

 

Principales sources

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